dimanche 23 septembre 2012

La couverture vivante





En septembre 2008, Danièle, connaissant ma passion pour la création textile, m’invitait à participer à un projet d'envergure lancé en mars de la même année. Il s'agissait de réaliser un carré de 25 cm x 25 cm, dans la technique de son choix : couture, tricot, broderie, afin de construire une couverture géante.

Une rapide recherche sur Internet me permit de vérifier de quoi il s'agissait, afin de ne pas m'embarquer sans le savoir dans un projet de je ne sais quelle secte. Ce projet est porté par le collectif des brasseurs de cages (constitué en 2000) qui crée des "actes de résistance à la colonisation des esprits et des corps, vecteurs de dialogue,de déraison nécessaire, d’utopie essentielle. Espaces d’expressions pour la société civile qui s’interroge sur les mutations actuelles des rapports humains sur la planète."

La lecture de la légende (créée de toutes pièces) correspondant à mes valeurs, en deux temps, trois mouvements, c'était fait.
La couverture vivante : Une légende de demain

Il était une fois un vaste monde aux confins des univers.  La vie s’était installée sous d’innombrables formes dans les immenses paysages de cette terre féconde. Au fil du temps, une espèce en vint à dominer les autres.

Cette espèce vivante se dénommait elle-même « Etres humains », ce qui signifiait  :« Créatures nées de la terre » par opposition aux dieux qui étaient célestes. L’ordre naturel des choses changea d’abord insensiblement puis de plus en plus rapidement.

Les humains soumirent les autres espèces vivantes, adaptèrent l’environnement à leur vision du monde et oublièrent qu’eux aussi venaient de cette terre sur laquelle ils vivaient. Coupés de leur origine terrestre, les humains étaient en train de perdre leur relation à l’invisible, aux forces élémentales d’un monde qu’ils en étaient venus à considérer comme le leur.

Ils se mirent à adorer des objets pour la possession desquels ils étaient prêts à toutes les formes de violence. C’est ainsi qu’ils semèrent la destruction autour d’eux pour alimenter les sacrifices exigés par le culte des « Objets - Machines ». Ils éventrèrent la terre pour lui arracher ses entrailles, ils empoisonnèrent l’eau et l’air, exterminèrent de nombreuses espèces vivantes…
Il arriva un temps où le principe même de vie sur cette terre, autrefois fertile et aimée, se trouva menacé. Cependant les humains emportés par leur frénésie ne voulurent pas comprendre les signes que leur adressa alors la Terre, en tant que matrice de la vie.
L’espèce humaine était alors fort nombreuse, des milliards de bouches avides cherchaient à arracher  quelques lambeaux de cette précieuse terre pour en tirer un éphémère profit.
Quelque part, des femmes commencèrent à murmurer entre elles; elles se rendaient compte que le « Nouvel Ordre » mis en place par le genre humain était dominé par un instinct mortifère.
Elles aussi s’étaient soumises et avaient cru à la domination de l’être humain sur la loi de la Nature, mais elles  ne pouvaient plus supporter de voir que les yeux de leurs enfants étaient vides.
Dans le regard des enfants, ces ancêtres du futur, elles avaient lu la condamnation de l’espèce, comme  ultime héritage d’une civilisation ayant asservi le Sujet à l’Objet.Elles se souvinrent alors de leur nature magique, elles se rappelèrent qu’autrefois les femmes communiquaient avec les forces de la vie et qu’elles-mêmes en étaient toujours porteuses. D’une mémoire très ancienne enfouie sous le conditionnement instauré par le « Nouvel Ordre », remontèrent les mythes des Origines.
Elles découvrirent alors le monde avec un nouveau regard, un regard venu du passé et tourné vers le futur. Et tout leur parut dangereusement absurde. Tant d’ingéniosité et tant d’obstination pour déboucher sur ce paysage saccagé, où la fleur meurt et l’oiseau ne chante plus...
Elles essayèrent d’alerter autour d’elles, d’autres membres de leur espèce, mais trop occupés à la survivance du plus fort, ils ne levaient plus les yeux de leurs cadrans, écrans, viseurs et autres appendices technologiques sans lesquels ils croyaient sombrer dans le néant. Aveuglés par l’urgence, ils ne discernaient plus l’essentiel.
Elles tinrent alors conseil et décidèrent d’envoyer une messagère consulter l’esprit d’une  très ancienne Déesse Mère qui vivait, disait-on, près d’une montagne Sacrée.

La voyageuse parcourut le long chemin qui menait à la dite montagne.

Mais comment s’adresser à la Déesse Mère ? Celle-ci existait-elle vraiment ? Que croire en ces temps troublés ?
Il lui semblait bien par moments sentir des forces obscures agiter son âme mais on lui avait appris, comme aux autres, que l’âme n’existait pas.
Elle s’installa dans le col entre les deux sommets jumeaux qui coiffaient la montagne, alluma un feu, s’assit près des flammes, prépara ses offrandes et attendit.
Quatre nuits passèrent sans que rien ne se produise.
Désespérée, elle alluma le feu pour la cinquième nuit, offrit sa dernière gorgée de vin, son dernier morceau de pain et invoqua la Déesse Mère.
Il y eut un frémissement dans les flammes et son Esprit recueillit ce message :
« C’est la main qui permet à la conscience de s’ouvrir, retrouvez le pouvoir de vos mains.
Un chemin se présentera alors  à vous et vous guidera hors des ténèbres qui ont envahi votre monde. »

La messagère retourna vers ses compagnes.Elles s’interrogèrent :
Plus personne ne se servait de ses mains, les machines faisaient tout. Ceux qui étaient en charge de la création étaient des spécialistes désignés par le « Nouvel Ordre », personne d’autre n’était habilité à créer.
La discussion dura longtemps, jusqu’à ce qu’une très vieille femme intervienne :
« Mes filles, cessez de parloter et mettez-vous au travail, je me souviens d’un temps où nous nous servions de nos mains tous les jours, en filant, en tissant, en cousant.
La main est le meilleur outil qui soit.
Nous avons toutes des mains, nous avons toutes, les meilleurs outils qui soient.
Filons, cousons, tissons ce qui reste dans nos cœurs et allons le montrer au monde. »

C’est ainsi qu’elles se mirent chacune à confectionner UN carré de tissu, dans lequel elles mirent leur foi et leur espérance.

Elles décidèrent de coudre les carrés les uns aux autres.Bientôt la rumeur se répandit à travers toutes les terres et des carrés de tissus affluèrent de partout comme l’affirmation d’une conscience commune. Assemblés, les carrés de tissus formèrent une immense couverture, la plus grande qui ait jamais existé et les tissus chatoyants racontaient l’élan de vie arraché à la misère de ce monde moribond.

La couverture animée de tant d’espoir et nourrie du pouvoir des mains qui lui avaient donné vie se mit en mouvement.
Les gardiens de la mémoire et de la paix comprirent que partout où « La Couverture Vivante » irait, elle apporterait un élan de vie. Elle irait recouvrir des rivières, envelopper des communautés, protéger des forêts, apporter chaleur et réconfort là où régnaient divisions et indifférence.
Dans son sillage jailliraient de nouvelles alternatives, les êtres humains ayant retrouvé leur pouvoir de création trouveraient des solutions pour nourrir, vêtir, célébrer, éduquer, soigner dans le respect de toutes Formes de vies.

La formidable énergie, mise en place par cette création collective, mettait soudain en évidence une communauté de destins dont la survie était tissée dans l’apparition
d’une conscience universelle.

La couverture était infinie, elle ne cessait de croître, étendard gigantesque de myriades d’êtres humains en chemin vers la joie simple d’ÊTRE

Mon inspiration à ce moment-là fut de faire ce que j'appellerai pompeusement un carré identitaire : un assemblage (patchwork) de morceaux de tissu (restes d'étoffes utilisées pour confectionner des vêtements)  pour parler de moi (tiens, cela ne date donc pas d'aujourd'hui !).
Tous les tissus entre les deux rubans proviennent de vêtements personnels. Depuis longtemps déjà, j'ai coutume de dire que mon "disque dur" est troué comme un gruyère. Mais c'est bien connu que la mémoire est sélective, et que ce dont nous nous souvenons le mieux quand elle commence à flancher, ce sont les souvenirs affectifs, émotionnels. Ainsi je pourrais vous dire exactement à quoi ont servi tous les tissus de cet assemblage. Pas l'année de fabrication du vêtement, faut pas exagérer, mais l'ordre chronologique.
Le triangle en bas à droite provient d'une chemise réalisée fin des années 80 pour Jean-Pierre. Avec le tissu en haut à l'extrémité gauche, j'ai réalisé un sac pour Marie-Julie. Le tissu d'à côté m'a servi pour faire un gilet à Guillaume pour le mariage de ma soeur Fabienne. Le morceau de ruban en bas de la photo a été coupé dans le ruban de mon bouquet de mariée.

En fait j'ai réalisé deux carrés : un qui a été envoyé pour le projet et une copie, avec l'intention d'en refaire un nouveau (selon le même principe) dans 10 ans (20 - 30 ans) pour voir les évolutions.

Vous remarquerez sur la photo (il s'agit du carré-copie que j'ai conservé) qu'il y a une seule ligne courbe. Et oui, je suis plutôt d'un naturel rigide. Mais je travaille considérablement sur moi pour arrondir les angles. En 2008, cela restait laborieux, voilà pourquoi il y a une seule ligne courbe. Dans le carré original, qui fait partie aujourd'hui de la couverture, ce ruban-là était un ruban d'organza plissé. Car j'aime aussi les fanfreluches, les colifichets (je ne suis pas à un paradoxe près).

Cette photo est extraite du site de la COUVERTURE VIVANTE

Si vous regardez attentivement les deux photos, vous devinerez des points de feston qui relient deux tissus. Il a été réalisé avec un fil doré, pour signifier mon attrait pour le luxe (dans la couture s'entend) et les finitions soignées.

J'ai entraîné dans cette aventure mes amies Olga

et Christiane qui précise sa démarche :


"Carré ""Espoir"" ou ""Quand le vent souffle dans le sable"" Ici s'achève en bordure de l'océan Indien les dunes du Rub Al Khali (Sultanat d Omau). Idée de démarrage:utilisation des lambeaux de voiles qui restent accrochés aux buissons ou enfouis dans les sables d'un ancien campement nomade qu'il soit bedouin touareg ou maure. Ces voiles sont des témoins de vies simples mais rudes où toutes ces femmes comme tous les leurs portent leur espoir à une meilleur vie là où il y a de l'eau.  "

Au cours de l’année 2006, la cinéaste Doris Buttignol développe le concept d’une création collective s’adressant à toutes les femmes autour d’un objet symbolique pour répondre à ce questionnement : « Comment offrir une possibilité d’expression aux femmes du monde entier, jusqu’aux plus démunies ou isolées ? » Le concept de la Couverture Vivante est une forme de réponse à cela : une proposition d’expression accessible au plus grand nombre, même sans argent, même sans éducation, même sans toit sur la tête. Le choix de l’expression textile n’est pas un hasard. C’est par le textile et le costume que s’exprime une partie de l’identité comme une seconde peau. Un langage et des techniques, souvent domaine des femmes, mais surtout vecteur de lien social et porteur d’une économie locale, désormais engloutie dans une filière textile industrialisée. C’est donc par toutes les techniques d’expression textile que la voix des femmes renaît de ses cendres, au sein de ce projet collectif international. Ces autoportraits/messages assemblés forment un tissage d'identités et de connaissances, un générateur d'échanges et de dialogues. 


L'objectif est de réunir 64 000 carrés de tissu, soit une couverture de 1000 mètres sur 4 de large. A l'heure où je vous écris, cet objectif est loin d'avoir été atteint : la couverture vivante compte seulement 1458 carrés, réalisés en France, en Inde, au Mexique, au Canada, au Tchad, au Mali, en Suède, en Argentine , aux Etats-Unis.


Peut-être vous aurais-je donné envie de vous joindre à cette aventure.
Pour terminer cette longue bafouille, si j'y participais aujourd'hui, mon carré ne ressemblerait en rien à celui que j'ai produit il y a 5 ans. Il serait sans doute plus créatif.
En 2008, j'accompagnais mon carré de cette réflexion : "En France redonnons de la valeur et de la considération au travail manuel" Toujours d'actualité ?




1 commentaire:

  1. Oh que oui, que c'est d'actualité!!! Avec l'invasion de l'informatique et du "multimédia", c'est de plus en plus important de sauver ce "patrimoine manuel"!!!

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Merci beaucoup !