mercredi 26 décembre 2012

Le chapeau de feutre

Je me replonge dans le livre acquis lors de notre visite au musée du chapeau de Chazelles-sur-Lyon le 16 juillet afin de légender les photos prises lors de cette visite .
Mais tout d'abord un peu d'histoire. "La corporation des chapeliers figure dans le livre des métiers d'Etienne Boileau au XIIIème siècle. [   ] Elle se divise au Moyen Age en plusieurs branches : chapeliers de fleurs, de paon, de feutre, de coton, faiseuses d'orfrois (étoffe brodée d'or) et fourreurs de chapeaux.[   ] Les chapeliers de feutre se substituèrent donc insensiblement à tous les autres corps de métiers et devinrent plus nombreux. Sous l'ancien régime, le petit atelier prédomine. Les procédés et l'outillage sont très rudimentaires et la spécialisation des chapeliers inexistante. [   ] L'ouvrier dénommé fouleur trie et mélange la matière première, bastit  la cloche qu'il feutre puis forme. [   ] La transformation  parfois même la teinture, sont effectuées par les chapeliers installés en ville. [   ] 
Jusqu'au milieu du XVIIIème siècle, les ouvriers travaillent la laine, le poil de chameau, de veau, de chèvre, ce qui donne des chapeaux tout à fait grossiers. Ils emploient également le feutre de castor pour les feutres de bonne qualité. Toutes ces fibres animales s'agglomèrent naturellement entre elles, sous l'action du frottement, de l'humidité et de la chaleur. L'utilisation du poil de lapin et de lièvre ne sera possible qu'à partir de 1730, avec l'introduction en France d'un procédé anglais. Les centres de fabrication du chapeau de laine sont situés en Normandie, dans l'ouest de la France, dans le Forrez et le Lyonnais. [   ]
Jusqu'en 1850, on note peu de changement du point de vue technique, mais le port du chapeau va se généraliser. [   ] Le chapeau de feutre se répand considérablement et est toujours réalisé dans la région lyonnaise. [   ]
L'évolution technique se précise vers le milieu du XIXème siècle. L'Exposition universelle de 1855 marque le départ de la transformation de la fabrication. Quelques machines sont introduites, essentiellement pour les premières étapes de la chaîne opératoire du feutre. [   ] Le développement sera timide, et jusqu'en 1890, l'industrialisation progresse peu. [   ]
La transformation de la chapellerie manuelle en industrie mécanique engendre la catégorie professionnelle des aides ouvriers, recrutés en majeure partie dans le prolétariat rural. [   ] Par la suite, le machinisme va s'étendre [   ] à l'ensemble du processus de fabrication. L'Exposition de 1897 et celle de 1900 à Paris présentent pour la première fois des machines réalisant la fabrication complète du chapeau de feutre. [   ]
A Chazelles-sur-Lyon, on dénombre 30 fabriques en 1872 occupant 1200 ouvriers et seulement 17 maisons en 1890 employant 1800 ouvriers. [   ] Au début du XXe siècle, Chazelles-sur-Lyon connaît son apogée et devient la principale cité de production du chapeau de feutre de luxe en France (28 usines et 2 500 ouvriers en 1930).
Après la première guerre mondiale, les centres feutriers sont beaucoup moins nombreux, mais emploient encore la moitié des chapeliers de France : 6500, dont un sixième à Espéraza, un tiers à Chazelles-sur-Lyon et le reste à Bourg-de-Péage et Nogent-le-Rotrou. La mode des années soixante porte un coup fatal au chapeau et donc à son industrie. Peu à peu, les usines ferment. [   ]"
 Le dernier établissement de Chazelles-sur-Lyon a fermé en 1997.

Venons-en maintenant à la fabrication du chapeau de feutre. "Sa qualité dépend en premier lieu de la matière première. [   ] Les peaux de lapin subissent plusieurs opérations dans un établissement spécialisé : la couperie de poils, dont le secrétage, qui est une opération fondamentale car il va non seulement donner au poil son pouvoir feutrant, mais il peut aussi modifier la qualité du feutre et certaines tâches spécifiques en chapellerie. [   ]
En effet, la fabrication du chapeau de feutre s'effectue en 13 étapes distinctes, qui nécessitent "un personnel qualifié répartit en plusieurs métiers. [   ] Cette spécialisation tend aujourd'hui à faire place à une relative polyvalence en raison du nombre très réduit des effectifs. 

PRÉPARATION ET CHOIX DU POIL : Les poils arrivent dans des sacs en papier de 2,5 kg. A chaque arrivage, ce poil subit trois vérifications : "à la vue", "au toucher" et "à l'essai". La bonne production d'une entreprise dépend du choix du poil et des mélanges effectués. [   ] Ce sont bien souvent les patrons qui s'occupent de ce travail délicat. [   ]

LE SOUFFLAGE DU POIL a pour but de nettoyer, d'ouvrir le poil pour le débarrasser de toutes ses impuretés. Une machine appelée souffleuse effectue ce travail.  
D'une longueur de 6 mètres pour 2 mètres de large, elle est constituée de nombreux compartiments contenant des cylindres perforés et des rouleaux à pointes acérées. Par un procédé de ventilation, elle va permettre l'élimination des jarres, poils grossiers, poussières, petits morceaux de peaux.

LE BASTISSAGE consiste à réaliser une cloche de taille quatre à cinq fois supérieure à celle du futur cône de feutre qui sera transformé en chapeau dans les ateliers suivants.
Bastisseuse en bois et cuivre
Le travail s'effectue à deux. Le peseur  à l'extrémité de la machine, pèse et étale sur un tapis la quantité de poil nécessaire pour obtenir la cloche désirée [   ] pendant que l'ouvrier bastisseur, à l'avant de la machine, place le cône métallique approprié et ferme les portes, entraînant ainsi le déclenchement du mécanisme.
Le poil s'achemine alors au-dessus du cône perforé. Sous l'effet d'une forte aspiration à la base du cône, le poil va s'y déposer en une couche légère et uniforme. Le bastisseur ouvre les portes et arrose le cône garni de poils en tirant sur une manette. [   ] L'eau est chauffée à 60° et permet aux poils de s'agglomérer. Quand la cloche est suffisamment traversée d'eau, l'aspiration est coupée, et dans le même mouvement, l'ouvrier la dégage délicatement [   ] puis la plie dans une serpillière humide."


Moule pour un béret
 Nous apercevons sur cette photo plusieurs moules, dont un incurvé. Il s'agit d'un moule pour chaussette : pendant la seconde guerre mondiale, les usines de Chazelles-sur-Lyon ont été réquisitionnées par les Allemands. Ils ont commandé la fabrication de chaussettes selon ce procédé, qui permettait de garder les pieds au sec.

"LE SEMOUSSAGE est un premier feutrage manuel. 
Le semousseur se tient devant une table chauffante située à hauteur de sa taille. Placée en pleine lumière, la surface de travail est disposée de telle sorte que les cloches de feutre sont parfaitement éclairées. L'ouvrier déplie ses cloches sur une grande toile de laine rectangulaire appelée feutrière, une par une, en rentrant les têtes (sommet du cône). Elles sont ensuite roulées en tous sens sur la table de fonte chauffée progressivement à la vapeur. Pour "marcher ses chapeaux", le semousseur les croise, évitant ainsi qu'ils se collent entre eux. A l'aide d'une brosse qu'il trempe dans un bac, il humecte sa feutrière. Les cloches vont perdre trois à quatre centimètres et devenir plus résistantes. Après avoir accompli ce travail, l'ouvrier contrôle la régularité du feutre en examinant chaque cloche par transparence devant la fenêtre ; les moindres défauts, même peu apparents, sont  appréciés et corrigés, sans quoi, lors des opérations suivantes, les cloches imparfaites ne pourraient être ni foulées, ni formées. [   ]

LE FOULAGE fut manuel avant d'être remplacé au début du XXème siècle par le foulage mécanique. 
Le feutrage manuel se pratiquait autour d'une table à 3, 4 ou 5 places. Les cuves étaient chauffées à l'origine au bois. Un homme appelé galifard était chargé d'allumer le feu et de l'entretenir durant la journée. Il s'occupait également de remplir les cuves d'eau chaude et de vitriol. La cloche devait être préalablement caillotée à mains nues. L'ouvrier fouleur pressait et roulait la cloche sur le plan de travail en bois disposé au-dessus de la cuve. Puis, à l'aide de manicles - pièces de bois qui épousaient parfaitement la forme de la main - il venait serrer le cône de feutre, le frottait, tout en prenant bien soin de le tremper de temps à autre. Ce travail, très pénible, toujours effectué par des hommes, était payé à la pièce, rapportait un salaire élevé et était très considéré ; ceci explique que la machine a longtemps été rejetée par les ouvriers et aussi tardivement installées dans certaines fabriques.

Le foulage mécanique s'effectue par "passées" ou "foulonnées". Environ 54 cloches sont installées sur un tapis. Elles se chevauchent et sont conduites entre deux rangées de rouleaux superposés. Très fragiles, elles sont d'abord "caillotées". Les deux rangées de rouleaux striés tournent à faible vitesse.   Un simple filet d'eau les arrose. Cette opération dure environ deux heures. L'ouvrière, debout devant le tapis, déplie et replie les cloches afin qu'elles ne se collent pas entre elles. Le feutre se trouvant ainsi raffermi va ensuite pouvoir supporter le foulage proprement dit. La fouleuse comporte des rouleaux constamment animés d'un mouvement de rotation autour de leur axe et d'un mouvement de va-et-vient suivant cet axe. Les cloches sont arrosées d'eau chaude, coulant sans interruption, additionnée d'une solution d'acide sulfurique. [   ] Sous l'action du frottement, de la température de l'eau et de l'agent feutrant, les cloches vont diminuer des deux tiers de leur grandeur primitive. Lors du passage des cloches, l'ouvrière fouleuse effectue durant deux à trois heures, le croisage et le décroisage de celles-ci, en veillant à les passer différement à chaque fois : "de tête", "de bord" puis "de flanc". 

Le foulage est une étape très  importante car un feutre bien foulé est fin, résistant, homogène, élastique à la chaleur, inextensible, indéformable à froid et imperméable.

LA TEINTURE est l'une des opérations les plus délicates. [   ]  Le teinturier doit être capable de maîtriser les nombreux problèmes et connaître tous les paramètres : qualité du poil de lapin, de l'eau, du feutrage ... Le dosage est empirique. Les cloches peuvent être immergées en vrac dans des cuves en inox où s'effectue un brassage automatique, ou bien immobilisées sur des cônes en inox perforés ; une pompe oblige alors le bain à les traverser.
L’ÉTIRAGE DE TÊTE OU CONAGE  est un premier dressage rudimentaire. La cloche, chauffée à la vapeur, est présentée sur la "gingueuse", machine munie de véritables doigts de fer dont le rôle est de casser la pointe, d'élargir le fond. Ce travail est ensuite accentué par l'ouvrier qui étire à nouveau la cloche sur un cône en bois posé sur un trépied.

L'APPRETAGE est effectué par une apprêteuse formée d'un injecteur d'apprêt et de deux cylindres entre lesquels la cloche va être pressée. Les cloches apprêtées séjournent ensuite une nuit entière dans une chambre chaude.

En fonction de la forme définitive du chapeau, certains cônes vont subir un ABATTAGE DES BORDS.

LES FINITIONS : ensemble d'opérations qui donnent à la surface du feutre son aspect définitif :qui s’appellera : taupé, flamand, ras, daim, antilope, mélusine.

LE FORMAGE : 



Le formage peut aussi se faire à "la pédale". Ce sont des machines chauffantes en métal, permettant un pressage rapide du feutre. 

LE BOCHONNAGE consiste à donner à chaque chapeau d'homme la forme définitive des bords. Le feutre est renversé sur un collier  et bloqué avec un "ovale à vis" en bois. Recouverts d'une patte humide appelé finette, les bords sont repassés au fer. Puis l'ensemble est pressé sous un sac de toile rempli de sable et chauffé.

LE GARNISSAGE est effectué exclusivement par des femmes. 
 
Après avoir replié le bord du chapeau ou placé un galon (bordure à cheval), la garnisseuse-piqueuse, travaillant à la machine à coudre, pose : un cuir pour un chapeau d'homme ou un gros-grain pour un chapeau de femme, une entrée de tête, un galon extérieur.

Voilà, la visite, qui fut un émerveillement  est terminée. Comme moi, vous ne regarderez peut-être plus les chapeaux avec le même oeil ...
Le chapeau passe au moins dans 13 mains avant d'avoir sa forme définitive. Enfin, passait. Car on peut penser qu'aujourd'hui la mécanisation a réduit le nombre d'étapes.
Ce savoir-faire nous éclaire aussi sur l'espérance de vie de nos aieux : le mot "pénibilité" prend ici tout son sens. Beaucoup de ces ouvriers ont dû mourir de maladies professionnelles.

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